Grippe A: pourquoi il faut absolument se vacciner
Ayant beaucoup ferraillé sur les commentaires des différents articles consacrés à la grippe A (H1N1) et sa vaccination, je voudrais prendre un peu de recul vis-à-vis de mes contradicteurs et en tirer deux leçons, assez désespérantes, qui semblent être passées inaperçues.
La première est de constater à quel point, dans notre société, l’égoïsme individualiste l’emporte sur le sens de l’intérêt général.
Rappelons l’objectif de cette campagne de vaccination, qui n’est évidemment pas motivée par une grippe dont la mortalité ne dépasse pas celle des grippes saisonnières banales : il consiste, pour la première fois, à anticiper sur un risque grave, celui de la mutation d’un virus particulièrement contagieux en un virus qui deviendrait aussi très mortel.
Ce n’est pas un mythe, la chose s’est déjà produite en 1918-1919, avec la grippe dite « espagnole », qui a tué 100 millions de personnes, mais qui en tuerait bien plus aujourd’hui, parce que la terre compte 6,8 milliards d’habitants contre 1,9 à l’époque, et que les échanges et moyens de communication se sont beaucoup développés (on considère qu’aujourd’hui, la grippe contaminerait en une journée autant de monde que celle de 1918 en trois mois).
Cet objectif est fondé sur un pari, celui selon lequel le vaccin contre le virus actuel resterait efficace au cas où la mutation redoutée se produirait ; ce n’est pas une certitude, mais c’est un pari raisonnable, tout dépend de la partie du virus sur laquelle porterait la mutation ; surtout, il s’agit de tenter quelque chose qui a une chance de réussir, plutôt que de ne rien faire sinon prier pour que cette mutation ne se produise pas (comme ont choisi de le faire les très catholiques Polonais…).
L’idée est donc de faire cesser cette épidémie, actuellement bénigne, en vaccinant le plus de gens possible, avant que cette mutation redoutée ait pu se produire : après, il sera trop tard.
Or, on constate que cette dimension collective est totalement étrangère aux préoccupations des adversaires de la vaccination, et on mesure l’extraordinaire régression qui s’est produite, dans les mentalités, par rapport à l’époque où tout le monde acceptait de prendre le risque individuel du vaccin obligatoire et dangereux contre la variole pour remporter une victoire collective contre cette maladie – victoire qui a effectivement été remportée ; dans le domaine de la vaccination comme dans tant d’autres, le sens de l’intérêt général et de la solidarité collective a été vaincu par celui de la perception purement individualiste face à un danger qui nous menace tous (« que les autres se vaccinent, j’en profiterai sans prendre le risque personnel d’une vaccination »).
Triste ironie, cet égoïsme individuel est souvent le fait de gens qui se réclament « de la gauche », et qui se justifient par des prétextes à la puérilité dérisoire : « c’est le gouvernement Sarkozy qui a pris cette décision » (comme si n’importe quel autre gouvernement en aurait pris une autre, comme s’il existait un seul parti politique –y inclus d’extrême-gauche- qui la contestait), « les labos pharmaceutiques vont se faire de l’argent » (comme si tout ce qu’ils produisaient était médicalement inutile du seul fait qu’il génère un profit).
La seconde est celle de l’inutilité de l’argumentation logique face à ce qui relève d’une conviction intime totalement irrationnelle.
Beaucoup d’adversaires de la vaccination font état de ses risques statistiquement dérisoires, notamment à ceux liés à l’utilisation d’adjuvants tels que le squalène, sur lequel on a un large recul de plus de 10 ans, confirmé aujourd’hui par la pharmacovigilance du vaccin actuel, qui fait état, en France seule, d’une quinzaine de réactions graves sur plus de 3 millions de personnes vaccinées, proportion que l’on retrouve dans tous les autres pays du monde, et qui ne laisse plus subsister aucun doute sur le rapport bénéfices/risques de ce vaccin (en rappelant, encore une fois, que le bénéfice recherché n’est pas celui de diminuer la faible mortalité actuelle, mais de mettre fin à l’épidémie avant qu’une mutation dangereuse ait pu se produire).
Cette approche est illustrée par ceux qui avancent sans sourciller que si l’effet nocif du squalène n’a pu être démontré, c’est parce que cette preuve est très difficile à apporter…ce qui revient à considérer que « si une chose est difficile à prouver, on peut considérer qu’elle est prouvée » ! J’avais répondu à l’un d’entre eux qu’il est heureux que les Cours d’ Assise ne raisonnent pas ainsi…mais j’avais tort : elles raisonnent effectivement souvent ainsi, faisant passer leur « conviction intime » avant des preuves souvent absentes…démarche qui est à l ‘origine de toutes les erreurs judiciaires.
Car, avec les adversaires de la vaccination, nous sommes bien face à une « conviction intime » : la culpabilité de l’accusé (le squalène) est certaine pour eux, ce sont des jurés d’ Assise qui sont dans le pré-jugé ; il s’agit uniquement d’en rechercher les preuves, et, en leur absence, de s’en passer ; la présomption de culpabilité a remplacé la présomption d’innocence.
D’où ce qui frappe le plus, dans les milliers de commentaires échangés entre mariannautes : personne n’a convaincu personne ; ceux qui sont dans le domaine de l’irrationnel (souvent les mêmes qui défendaient la « théorie du complot du 11.9 ») sont animés par une « conviction intime » qui trouve son origine dans une certaine structuration de leur psychologie, et qu’aucun argument ne pourra évidemment jamais entamer : il est vain d’aller prêcher l’athéisme dans une église, une mosquée, un temple ou une synagogue.
Quelles conséquences en tirer pour l’avenir ?
Tous les virologues sont unanimes sur un point : compte tenu de la fréquence des mutations du virus de la grippe, nous nous trouverons un jour face à un virus grippal à la fois très contagieux et très mortel : on ne sait pas quand, mais il s’agit là d’une certitude statistique.
L’épisode actuel aura au moins servi, tant aux laboratoires pharmaceutiques qu’aux pouvoirs publics, de répétition générale et d’apprentissage sur la façon de faire face à cette situation inédite…et on a pu constater que cet apprentissage n’était pas un luxe inutile.
Mais nous savons désormais que, ce jour-là, l’obstacle majeur à l’efficacité des mesures prises résidera dans la régression extraordinaire de l’esprit de solidarité collective et d’approche rationnelle des problèmes qui caractérise notre époque…et pas seulement en matière de vaccinations.